Bruce Grierson – on the war on beavers (French version).
Vancouver, B.C.
28 Novembre, 2000
Paul,
Ma soeur, Carol, et son mari, Denis, qui possèdent une propriété à la campagne, en Alberta, ont chaque été la désagréable surprise de trouver leur sous-sol inondé, et cela depuis les derniers dix-neuf ans. L’eau monte toujours d’environ un pouce touchant presque les pattes capitonnées de la fournaise, au risque de la faire exploser, en entraînant la maison avec elle. Ce qui le mettait dans une fureur bleue.
Chaque année, Denis développait une telle rage axée sur le problème, qu’il lui était impossible de se contrôler. Il faut que vous sachiez avant tout que Denis est un psychologue, donc une telle attitude était difficile à imaginer et à comprendre surtout. En somme, Denis allait se préparer à partir en guerre.
Carol et Denis en avaient marre de vivre en ville, et pour reprendre leur tranquillité d’esprit, ils se sont offerts un terrain d’à peu près 60 acres. Leur joie était abondante à l’idée d’élever les enfants et de respirer un air pur, loin de l’étouffement de la grande ville. – «Une paix et un silence divins – disait-il». Il était toujours en train de raconter avec extase les découvertes qu’il faisait chaque jour aux alentours de sa propriété. Je me rappelle son ahurissement d’avoir trouvé un lac aux eaux presque huileuses et d’un vert bleuâtre d’une mer docile comme celle de la Méditerranée et en plus être assez large pour pouvoir faire de belles randonnées nonchalantes en canot. Son premier mot à cette vue, m’a-t-il dit, fut : «Ça c’est bien le Canada».
Il avait bien vu juste car ce lac «canadien» appartenait à une troupe, non, plutôt toute une colonie de castors.
Je fais une pause ici pour éclaircir un point très important et c’est celui du roman-fleuve de mon beau-frère et de ces castors, avait atteint un apogée légendaire dans notre famille. Avant ma dernière visite, on entendait comme ça des rumeurs de-ci, de-là avec des faits saillants ou banals ou imaginaires, etc. Mais toutefois, ce soir-là Denis était d’une colère noire et brûlait d’envie de me raconter toute son histoire de A jusqu’à Z, c’est à dire la vraie, l’entière, non abrégée, l’unique histoire et bien moi, je me suis dit, pourquoi pas, aprés tout, nous connaîtrons enfin ce qui c’est vraiment passé.
Le premier castor que Denis a vu avait l’air sinistre dans sa mort. Toutefois, Denis n’a pas compté sur la famille qui défilait un aprés l’autre à la file Indienne sur une eau calme et chatoyante à moitié couverte sous un crépuscule enchanteur.
Cette scène, rappela à Denis l’histoire du fameux Indien, Grey Owl (qui en réalité était un Britannique), lorsqu’il avait le don de se lier avec les animaux de la prairie sauvage. En imitant fièrement, Grey Owl, Denis a d’abord commencé à s’asseoir au bord du lac, sans bouger d’un poil, envoûté par ce spectacle. Peu à peu les castors, habitués à sa présence, venaient presque jusqu’à lui. Il regardait leurs petits yeux noirs et leurs dents jaunies. Il était en extase devant tant de splendeur et pensait dans le plus profond de lui-même que nul canadien ne pouvait admirer un castor sans sentir son torse se gonfler de fierté et d’admiration. Après tout, notre pays a été littéralement bâti sur le dos des ces pauvres castors.
«J’allais les voir tous les jours» me confia Denis «Puis l’eau a commencé à envahir mon sous-sol»
«Je commençais à mettre les points sur les i.» Dit-il en signe de compter, il leva son pouce droit. Notre maison est au bon milieu d’un champ aplati, pourtant il y avait un lac dessus.» Puis son index se leva. «Le lac paraissait prendre de l’ampleur et pourtant on n’a pas eu une seule goutte de pluie». En dernier il montra son médius. «Et les castors avaient l’air de doubler leur population à vu d’œil.»
Là, je fais une autre pause, car il est absolument impératif que vous ayez, tout de même, une petite idée sur les castors et leurs caractéristiques. Bon, alors :
1) – Un castor peut vous abattre un peuplier dont le tronc aurait la même épaisseur que le manche d’une hache en un coup de dent.
2) – Les castors sont des bourreaux de travail : Vous détruisez leur barrage dans la soirée et à la lueur du jour vous en trouverez un autre tout neuf et beau prêt à vous faire un pied-de-nez,
3) – Les castors sont intelligents.
4) – Les castors sont territoriaux.
5) – Les castors ont une attitude héréditaire qui s’exprime ainsi : «les premiers arrivés, les premiers servis»
Denis était plein de compassion et surtout c’était un homme très sensible et lorsque sa fille, Kerri, lui demanda de ne faire aucun mal à ces pauvres bêtes, il en est venu à la conclusion qu’il fallait trouver un moyen de s’en débarrasser sans offenser qui que ce soit.
Il avait lu quelque part que les boules de Naphtaline faisaient horreur aux castors. Il en a acheté un gros sac et après avoir détruit leur barrage, il en a éparpillé de partout sur la rive. Malheureusement, ce truc n’a pas tellement marché, car «Ils sont venus!, ils ont vu! et ils ont reconstruit!».
«Bon, alors, j’ai pensé à ce qu’un copain m’a dit sur l’efficacité d’un long tuyau de plastique. Il suffit de faite un trou dans le barrage et d’y enfourcher le tuyau, semblable à un chirurgien qui essayerait de vidanger une plaie. L’eau passe à travers le barrage et voilà! Il est inondé. Enfin ça, c’est la théorie.» Conclua-t-il.
«Pas marché, eh!» Ai-je dit.
D’un air abattu, il soupira avant de répondre. «Les castors ont construit une jolie petite péninsule de boue autour du tuyau et ils l’ont bloqué.»
Denis finit par appeler «à l’aide» et le Service de la patrouille des castors du comté du coin est venu mettre un piège. Bon, je dois vous dire qu’un «piège» c’est une sorte de mors en métal avec une suspension à ressort, installé ouvert dans l’eau et qui se referme sur l’animal aussitôt qu’il passe pardessus. Le premier piège a effectivement tué un castor. Mais au fond le Service de la patrouille des castors ne peut pas se permettre de mettre une douzaine, ou même une quinzaine de ces pièges, car en fin de compte qu’adviendra-t-il de leur «job» si les castors disparaissaient.
En moins de 24 heures, un autre piège fut posé dans la crique mais celui-ci disparu comme par magie. Ce que les castors avaient fait c’était de reconstruire un nouveau barrage (pour remplacer celui que Denis avait saccagé auparavant) par-dessus le piège. Assez pour avoir donner une peur bleue à Denis qui l’avait trouvé grand ouvert prêt à se refermer, au moindre geste futile, sur la jambe ou le bras ou toute autre partie du corps. Bon alors, adieu le symbole du Canada et tout le tra la la. C’est la guerre aux castors.
Quoique l’on dise, les Canadiens sont plutôt plaisants et bien dociles, même avec toute l’influence néfaste des nos voisins du sud, nous restons fidèles à la vision presque idéale de nos Pères de la Confédération, alors vous vous imaginez ma surprise de voir une carabine .22 dans les mains de Denis. La psychologie, c’est drôle des fois, vous trouvez pas? Un psychologue qui cherche à tuer des castors, c’est vraiment à s’en mordre les doigts.
Mais plus l’histoire se rallongeait et que les faits prenaient des détails saillants et alarmants plus je commençais à avoir pitié des ces pauvres bêtes, au fond, qui protégeaient leur territoire et leur droit national acquis.
Malheureusement Denis et sa famille, surtout Kerri qui l’empêchait au début de lever le petit doigt envers ces animaux adorables – «Papa, tu ne vas pas tuer ces adorables créatures, non? espèce d’Attila le Hun, que tu es!» – maintenant le poussait à les massacrer de droite et de gauche, car ramasser des boîtes et boîtes du sous-sol, moisies et trempées peuvent changer une brebis en loup.
Eh! Bien, le problème n’est pas vraiment résolu, loin de là, car la solution serait de plier bagages et mettre les voiles au retour au bercail tranquille, paisible et routinier de la ville. Seulement voilà, Denis n’en avait pas fini avec les castors et chaque jour accoutré comme «Elmer Fudd» vous connaissez?, il se dirige vers la crique et ramasse chaque brindille qui traine dans l’eau et qui pourrait par chance arrêter une des centaines de branches que les castors lancent pour trouver un endroit où construire ces infâmes mais extraordinaires et charmants barrages de «castors».
Je dois vous dire finalement que j’ai été immensément heureux d’avoir pu changer de place avec Denis en lui donnant la thérapie dont il semblait avoir le plus grand besoin et c’était celui de me raconter toute cette fantastique série d’événements. De temps en temps, la nuit, je rêve que le téléphone sonne et qu’un castor me donne des nouvelles de ma sœur, ma niéce et de Denis, surtout.
Bruce.